You look like a bad joke ϟ [Libre]

La journée était déjà bien avancée en ce mercredi brumeux a Kou, ou le soleil cachait le bout de ses rayons derrière les nuages gris et gros qui se concentraient en masse dans le ciel. Il était prévu que quelques averses, accompagnées d'orage, déferlent sur la contrée. Et bien sûr, alertés par cette nouvelle, les marchands avaient faits leurs valises, et étaient rentrés bien au chaud chez eux, quitte a ne pas faire de bonnes affaires pour la journée. Au moins, ils n'attraperaient pas un rhume, juste pour quelques pièces de monnaie. Enma n'était decidement pas de ce style de personne chatouilleuse et délicate ; bravant le mauvais temps s'annonçant clairement au dessus de sa tête, elle avait installée son stand de charcuterie, comme d'habitude, dans la rue principale, et s'était placée derrière, immobile et silencieuse, encore pire qu'une apparition funeste un jour de deuil. Elle avait beau effrayer les passants, ces derniers venaient tout de même lui acheter quelques morceaux de viande. Personne ne pouvait oser se passer d'un bon morceau de viande après une dure journée telle que celle-ci. Plantée derrière son stand de bois, la jeune femme avait regardée les gens défiler sous ses yeux, raide comme un piquet, tant et si bien qu'un enfant, bien que terrorisé par son apparence sombre, en était venu a la pousser délicatement du bout du doigt, comme pour vérifier qu'elle était bien vivante, et qu'elle n'allait pas tomber sous la pression de son doigt. En voyant qu'elle réagissait, en tournant la tête dans sa direction, il avait fui avec un geignement plaintif, et avait trouvé refuge dans les bras de sa mère, qui l'avait grondé pour ses bêtises. Un sourire avait étiré les commissures des lèvres de la brune, qui regarda s'éloigner la petite famille, le regard vitreux. Elle en voyait tous les jours, des petites tribus de ce genre. Et ça lui rappelait de douloureux souvenirs, tachés de bleu azur et de rouge sanglant.

En début de soirée, comme l'air devenait plus frais, et que quelques gouttes d'eau dégoulinaient sur la bâche qu'elle avait pris soin de déposer sur ses meilleurs morceaux, elle rangea finalement son attirail de « bidoche », comme disait les autres marchands de la rue, qui avaient eux aussi affrontés le ciel gris avec courage. Pour elle, ce n'était pas simplement que de la viande. C'était son moyen de survie. Sans cette chair sanguinolente et plutôt repoussante visuellement, elle ne serait déjà plus qu'un cadavre froid et inerte, pourissant dans le coin d'une rue, le visage rongé par les rats et les chats errants. Elle n'était pas effrayée de penser ainsi d'elle, au contraire : la perspective d'au moins servir de nourriture aux animaux a la fin lui paraissait une bonne chose. Après avoir caser ses affaires dans un sac de toile, dont elle attacha la bandoulière a son épaule, le laissant battre sa cuisse droite a chacun de ses mouvements, elle vagabonda un moment dans les rues de la ville, sans but précis. Elle avait une maison, oui. Modeste, bien sûr, avec seulement quelques meubles essentiels comme un lit, un évier aussi, et un plan de travail pour découper sa viande. Pour elle, c'était amplement suffisant pour vivre. Et puis, ce n'était pas comme si elle avait les moyens de vivre dans le luxe. Pas avec les quelques maigres revenus que lui procuraient ses rares ventes. Elle se promena donc, battant le pavé des petits talons de ses bottes, obervant avec appréhension le ciel qui devenait peu a peu noir au-dessus d'elle. Elle devait se hâter de rentrer, sinon, le noir l'attraperait a nouveau. Et il ne la laisserait plus repartir, cette fois. Il serait plus prudent que la dernière fois. Elle ne savait pas si c'était normal d'ainsi personnifier cette couleur obscure, mais c'était un réflexe inné de son esprit, qui se remmémorait certainement les horreurs de sa ville natale. Un blocage d'enfance, assez dramatique pour faire naître une peur enfantine chez elle. Elle prit garde a ne pas se faire bousculer par les enfants qui passaient en courant sur le chemin, en remarquant l'écart considérable qu'ils s'appliquaient a faire entre elle et eux. Sans s'en formaliser, elle continua sa route, ne tiquant même pas aux goutelettes qui mouillaient son visage pâle.

Elle n'avait jamais voulue effrayer son entourage. Autrefois, elle était effrayante, il parait. Sauf qu'en compagnie des enfants Ren, elle devenait tout de suite plus chaleureuse et agréable, et son visage adoptait des expressions de joie perdues aujourd'hui. Un magi travaillant au service de la famille royale l'avait même complimentée, un jour, soi-disant sur la blancheur et la clarté des rukhs qui l'entourait. Elle n'avait absolument pas compris ses mots, ce jour-là. Peu de temps après, les Princes lui avaient expliqués ce qu'étaient les Rukhs, et en quoi consistait le rôle des Magi. Ses rukhs n'étaient blancs que grâce a la présence constante de ceux d'Hakuyuu et d'Hakuren, elle en était persuadée. Désormais, ses rukhs devaient certainement avoir tournés au noir. Comme ça lui allait bien. Le visage toujours aussi impassible, elle traversa toute la moitié de la ville, accélérant l'allure comme le ciel se couvrait de plus en plus, mais fut ralentie par un cortège imposant, qui devait être celui d'un homme riche. Collée contre le mur d'une vieille bâtisse, elle faisait tout son possible pour rester discrète, et couvrait du mieux qu'elle le pouvait son visage derrière son sac, qu'elle avait amenée a hauteur de son visage. Elle improvisait, et forcément, c'était mauvais et voyant. Enfin, les gens devaient se dire qu'elle avait juste un petit problème mental. Et ce n'était peut-être pas faux. Elle ne s'était jamais vue comme une aliénée, ou une arriérée. Seulement, certains de ses comportements ne plaisaient pas a tout le monde, et malheureusement, elle ne s'en rendait qu'après-coup. Elle aurait beau s'excuser toute sa vie pour ce qu'elle faisait de travers, rien ne changerait, parce qu'elle reccommencerait la même chose après. Ou alors, c'était ce qu'on apellait être « maladroite». Elle n'en avait aucune idée, elle ne côtoyait pas assez les gens pour savoir et comprendre cette notion-là. Eh bien, tant pis, elle continuerait a vivre sans connaitre la différence entre ces deux termes. Après tout, ce n'est pas ce qui la tuerait. Sa mort sera certainement provoquée par de tendres mais mortelles stigmates du passé. Un éclair déchira soudainement l'obscurité du ciel, et elle plissa les yeux en réponse, anxieuse. Elle détestait les orages, et le noir. Tout ce qui se rapportait au mauvais temps, en somme. Prise de court, elle se glissa contre des caisses en bois qui traînaient là, et ramena ses genoux contre sa poitrine, frissonant sous la bise fraiche qui faisait flotter ses longs cheveux noirs contre ses épaules. Si elle ne bougeait pas, et qu'elle se cachait bien, le noir ne viendrait pas la chercher. Surement. Il n'allait pas s'embêter a fouiller la ville pour trouver une petite souris paniquée, n'est-ce pas?

HRP: