[ 14/2/1002]
Eris était morte de trouille.
Bon, cela arrivait souvent. C’était même une habitude pour cette grande peureuse.
Mais, aujourd’hui plus que les autres jours, la rouquine sentait la peur l’envahir et lui tordre l’estomac.Deux immenses cernes noirs commençaient à se former sous ses grands yeux verts fatigués par trop de nuit blanche. Et ce n’était pas l’air glacé qui lui améliorait son teint blafard.
En fait, la demoiselle ne cessait de se répéter en litanie cette question : « Comment en était on arrivée là ? »
Son installation à Quishan c’était pourtant passée en douceur.
Malgré la disparition depuis un certain nombre d’année du précédent gouverneur dans un donjon, (coïncidence celui où Alibaba avait acquis Amon), le peuple et les courtisans n’avaient pas trop eu de problèmes à accepter comme dirigeante cette jeune fille fluette et fragile qui parlait timidement lors des réunions, sans jamais vraiment oser hausser la voix.
En fait, rien n’avait changé depuis son arrivée.
De toute façon, personne n’écoutait vraiment ce que bafouillait l’adolescente. Tous savaient qu’elle n’était là que pour faire de la figuration. Que les véritables ordres venaient de Kou. Ni plus. Ni moins.
Le seul véritable changement qu’avait réussi à imposer la jeune fille était : la monnaie.
Mais pour le moment cela convenait aux marchands, trop heureux de pouvoir faire des affaires avec le grand empire de l’Est qui les avait annexés quelques années plus tôt.
Mais pour le moment, Eris se contentait de cela, trop heureuse d’avoir progressé même d’un millimètre sur l’échelle des objectifs.
Et puis un beau jour, tout avait basculé.
Sans trop savoir pourquoi, un groupe de bédouin avait attaqué une garnison de l’empire durant la nuit. Les soldats avaient répliqué. Aucuns des hommes du désert ne s’en était sorti vivant. Pour ne pas que cela recommence, des « exécutions » pour l’exemple avaient été décidées par les généraux sans même que la pseudo gouverneur ne soit consultée. Au hasard, des hommes furent capturés parmi la population puis décapités sur place publique.
Bien sûr, ce comportement inique attisa la haine.
L’occupation jusque-là pacifique du territoire par l’empire tourna à l’opération de guérilla dans toute la partie Est du désert. Ce n’était pas encore la guerre civile, mais on s’en approchait à grand pas tant les belligérants semblaient faire montre de cruauté les uns envers les autres.
Car si Kou avait l’avantage de l’organisation et du nombre, les hommes du désert savaient mieux que quiconque tendre des embuscades parmi les dunes et supporter la chaleur implacable qui décimait même les plus courageux combattants.
Ainsi, l’escalade de la violence semblait impossible à arrêter.
Se rappelant soudain qu’ils avaient une dirigeante, la noblesse et les conseillers de Quishan harcelèrent la jeune fille pour qu’elle mette un terme au chaos.
Malheureusement, Eris était bien impuissante à et ne pouvait que jouer les spectatrices horrifiées autant par son incompétence que par les combats sanglants que se livraient les nomades et les soldats.
Pourtant l’adolescente voulait encore croire qu’une solution pacifique était possible.
Oui mais comment faire quand personne ne l’écoutait ? Comment convaincre les généraux de lui laisser une chance de régler les choses à sa manière ? De cesser cette lutte vaine ? Non, tout cela semblait impossible.
Alors à force de réflexion et de nuit blanche, la jeune fille avait décidé de prendre les choses en main. Elle irait seule parler aux nomades. Tant pis si c’était une opération suicide. Il fallait qu’elle tente cette ultime chance. Sinon, elle serait définitivement qu’une bonne à rien. Un déchet. Une erreur.
A la faveur de la nuit, sans prévenir personne, l’adolescente, ayant récupérer ses vêtements de vagabonde et sa chère cape noire, se glissa hors du palais. Elle était redevenue l’ombre, retrouvant d’instinct ses talents de monte en l’air et de passe-muraille.
Pourtant, ce ne fut pas facile car la garde avait été triplée. Et ce n’était rien face aux garnisons qui campaient aux sorties de la ville ainsi qu’aux patrouilles faisant appliquer le couvre-feu.
C’est pourquoi la fille du désert se faisait du souci en avançant sur les toits de la ville endormie. Arriverait elle à s’évader de la citée sans se faire repérer ?