“On ne rencontre que ceux qu'on a déjà rencontrés.” [PV Jasmine] 27/03/1001

Le soleil était haut dans le ciel, réchauffant avec douceur son corps gelé. Quelques nuages bien cotonneux se battaient dans l’immensité bleue, s’envolant au grès du vent vers les frontières de l’Empire, la laissant derrière eux, admirative.

Assisse dans l’herbe fraiche, sa tenue s’étalant autour d’elle dans un mélange de froufrou et de tissus vert et rose, Kougyoku avait l’esprit songeur et perdu dans un vide qu’elle n’arrivait pas à combler par ses seules pensées. Elle avait laissé Koubun Ka derrière elle lorsqu’il avait détourné les yeux. La 8ème princesse s’était dérobée entre deux rosiers afin de s’isoler de cette foule pesante.

Le palais était bien trop vivant à son goût, son humeur n’était pas festive et voir autant de monde s’agitait dans tous les sens, lui donnait la nausée. La jeune femme avait préféré fuir ce phénomène plutôt que le subir en faisant semblant que tout aller bien. Sourire, garder la tête haute, ne pas écouter les rumeurs à son sujet, tout cela l’épuisait.

C’est tout naturellement qu’elle s’était dirigée vers le jardin royal, un lieu de toute beauté qui invitait au repos et à la méditation. Et cela, elle en avait bien besoin. Réfléchir à qui elle était, à ce qu’elle pouvait accomplir pas seulement en tant que princesse ou maitresse d’un Djinn mais en tant qu’être humain. Que pouvait-elle apporter à l’Empire qui puisse satisfaire son entourage ?

Une rose reposait sur ses cuisses, ses pétales d’un rouge éclatant étaient couverts de rosé et Kougyoku laissa ses doigts effleurer la surface lisse du végétal y faisant disparaitre les petites gouttes d’eau y ayant élu domicile le temps d’une nuit. Sa peau s’humidifia à leurs contacts et un léger frisson remonta le long de ses bras, se perdant au niveau de sa nuque découverte.

La jeune femme avait toujours sa chevelure de relevé, plus par habitude que par nécessité et elle se demanda ce que cela ferait si jamais elle venait à les laisser libre. L’idée de ressentir le vent soulever ses cheveux la fit sourire mais un problème majeur se posait, que ferait-elle de son épingle ? Elle ne pouvait délibérément pas la laisser derrière elle.

Levant les yeux vers le ciel, elle se perdit dans cet océan bleuté. Une légère brise soufflait, faisant voler quelques pétales autour d’elle, l’herbe ondoyait à ses côtés. Elle se sentait en paix ainsi, loin de l’agitation, loin de la royauté et de ses concepts, loin des complots, des guerres, de ce monde dont elle n’avait pas de place.

C’est sûrement dû fait de cet état de bien-être qu’elle ne ressentit pas la présence d’un individu, qu’elle ne l’entendit pas arriver et lorsque son regard se fixa devant elle, un hoquet de surprise se bloqua dans sa gorge. Kougyoku n’était plus seule, on l’avait découverte, mais qui était cette personne ? Il ne lui fallut pas plus de quelques secondes pour faire le lien entre les rumeurs qui circulaient et cette étrangère sous ses yeux.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-elle avec froideur. »

L’on disait que son frère avait recueilli une étrangère au sein du palais, à n’en pas douter, c’était cette femme, mais Kougyoku préférait en être sûre. Mieux valait être prudent, son titre ne la protégerait pas des intrus et même le meilleur des gardes pouvait laisser filer quelqu’un sans s’en rendre compte. Elle se releva rapidement, prenant même le temps d’épousseter sa tenue des quelques brins d’herbe qui s’y étaient accrochés.

Il y avait quelque chose d’étrange, un sentiment nostalgique qui remontait le long de sa gorge. La 8ème princesse avait l’impression de connaître cet individu mais sa mémoire lui faisant défaut, elle préféra ranger cette intuition dans un coin de son esprit.

Cela faisait maintenant plusieurs jours que notre jeune femme était dans un état de surexcitation. Bien que cela soit constamment le cas, depuis qu'elle avait retrouvée son ami d'enfance, cela avait empiré. Le fait de revoir Kouen lui avait soulagé d'un tel poids. Treize ans sans le voir avait été long, très long. Il est souvent occupé par sa fonction qui lui prend presque tout son temps. Entre les futurs contrées à conquérir ou les relations diplomatiques à régler, il était pratiquement introuvable en journée. Seul le soir, lorsqu'il profitait de son temps libre pour décortiquer et comprendre les parchemins anciens d'un ancien monde, Jasmine pouvait profiter d'être avec lui. Elle essayait de rattraper le temps perdu.  Bien que Monsieur était encore plus impassible qu'avant, elle ne lâchait pas l'affaire, têtue comme elle est.

Elle ne savait pas encore combien de temps elle comptait rester au sein du royaume. Habituellement, elle restait pas plus de deux mois dans la même région, si ce n'est moins. Elle prenait le temps de découvrir la culture et les spécialités des alentours. Si elle faisait des rencontres, elle profitait des dernières semaines pour mieux connaître la personne, mais autrement, elle filait aussi rapidement qu'elle était venue. Cependant, vu les circonstances, elle sentait qu'elle allait rester ici pendant un moment. Son instinct lui disait d'attendre encore un peu, juste un peu et elle allait vivre quelque chose d'inoubliable. Quelque chose qui allait marquer sa vie. Mais quoi ? Allait-elle faire de nouvelles rencontres ? Allait-elle vraiment rester ici pendant un long moment ? Ou allait-elle acquérir quelque chose d'indispensable ?

Pour être honnête, elle n'en savait strictement rien. Et c'est ce qui l'excitait le plus. Ne pas savoir ce qui vous attend dans votre voyage... C'est ce que recherchait Jasmine lorsqu'elle avait entreprit son aventure. L'inconnu, la découverte, les nouvelles rencontres, le danger... Qu'est-ce que son destin lui réservait ? Seul l'avenir pourra lui faire découvrir le chemin qu'elle a empruntée. En attendant, elle était dans le Palais de l'un des pays les plus influant de ces dix dernières années. La dernière fois qu'elle y avait mis les pieds quand elle avait cinq ans, le pays commençait à peine à s'étendre sur quelques kilomètres. La famille Ren est vraiment ambitieuse. Bien que notre voyageuse n'était pas forcément en accord avec les méthodes utilisées, elle devait admettre qu'en quelques années, ils avaient fait bien plus que certains empire vieux de plusieurs siècles.

Mais passons ! La rouge n'aimait pas vraiment parler de diplomaties, elle en avait eu assez lors de son enfance auprès de sa «famille ». Quelle heure était-il ? Lorsqu'elle regarda le ciel, elle comprit que l'après-midi était déjà bien entamée. Bon, au moins, le temps passait plus vite que la dernière fois. Lorsqu'elle devait attendre que son ami soit libéré de ses fonctions, Jasmine n'était pas vraiment occupée. Elle n'avait même rien à faire si ce n'est de se promener dans le palais ou à l'extérieur. Au bout d'une semaine, cela commençait à être lassant.


Soupirant, elle posa ses coudes sur une rambarde avoisinante et admira la vue. Elle était au jardin. Cet endroit, elle le connaissait par coeur dorénavant. C'était d'ailleurs ici qu'elle avait vu Kouen pour la première fois depuis ces treize dernières années.

Cependant, cette fois-ci ce ne fut pas la silhouette de Kouen qu'elle aperçue au loin. C'était une toute autre personne. Elle était plus fine, plus petite et moins imposante. C'était une femme. Ses cheveux étaient magnifiquement attachés dans une broche fait d'un or pur qui scintillait face au rayon du soleil. Ses longs vêtements étaient étalés autour d'elle et l'entouraient dans un cercle de soi. Intriguée par la jeune fille qui se trouvait devant elle et se demandant ce qu'elle faisait seule au beau milieu du jardin, Jasmine s'avança doucement vers elle, les yeux plissés et la tête légèrement penché sur le côté. Plus elle s'avançait, plus elle pouvait constater que la jeune fille titillait une rose d'une couleur pratiquement semblable à ses cheveux. Un fin sourire se dessina sur les lèvres de la voyageuse.

« Qui êtes-vous ? demanda-t-elle avec froideur. »

Jasmine se stoppa soudainement. Elle ne s'attendait pas à ce qu'elle l'a remarque aussi rapidement. Regardant la jeune inconnue se relever, son sourire disparut peu à peu. Encore une fois, ce sentiment de déjà vu refaisait surface. La connaissait-elle également ? Peut-être l'avait-elle déjà croisé lors de ces sept derniers jours ? Secouant la tête, elle voulut faire disparaître cette sensation. Mais son interlocutrice se retourna vers elle, lui faisait maintenant face. Ce sentiment de déjà vu revint au galop dans son esprit. Elle la connaissait. Elle en était sûre. Maintenant qu'elle pouvait la regarder de plus près, certains traits ressemblaient à son ami, Kouen. Etait-elle une de ses cousines ? A moins qu'elle ne soit une de ses sœurs ? Jasmine était vraiment dans la confusion. Peut-être que si elle pouvait avoir connaissance de son nom... Rigolant nerveusement, elle se massa la nuque tout en lui offrant un sourire « à la Jasmine ».

Kougyoku était imperturbable malgré son état de détresse mental. D’un point de vue extérieur, l’on pouvait dire que la jeune femme avait la maitrise totale de la conversation. Mais dans sa réalité, c’était justement l’inverse. Ce sentiment de déjà-vu l’empêcher de réfléchir logiquement et lorsque l’inconnu en face d’elle se présenta, ses émotions se perdirent dans un océan de confusion.

- « Bonjour ! Je suis désolé si je t'ai surpris, j'étais simplement curieuse sur le fait que tu sois seule dans le jardin. Je m'appelle Jasmine, enchanté ! » Dit-elle, lui offrant sa main.

Jasmine ? Kougyoku était sûre d’avoir déjà entendu ce prénom quelque part. Certes, elle savait déjà qu’il s’agissait de l’intruse de la dernière fois mais c’était quelque chose de bien plus lointain, un souvenir inaccessible qui la frustrait plus que nécessaire. La 8ème princesse voulait savoir d’où venait ce sentiment de nostalgie et elle ne laisserait pas partir cette Jasmine avant d’avoir eu sa réponse. Quitte à aller espionner son frère pendant ses conversations avec cette femme.

« Hum... serions-nous déjà croisés quelque part ?»

Alors ça, c’était justement ce que Kougyoku voulait savoir. Sauf que si Jasmine ne s’en souvenait plus comment arriverait-elle à le savoir ? Il ne restait plus qu’une seule alternative : elle devait se présenter et peut-être que la mémoire de la jeune femme en face d’elle lui reviendrait et alors, elle pourra partager ses souvenirs avec Kougyoku. Comment la 8ème princesse pouvait en être sûre ? C’était une chose plutôt simple et évidente. Cette fameuse Jasmine n’avait pas hésité à s’approcher d’elle et à engager la conversation, c’était sûrement le genre de femme à parler librement donc elle n’hésiterait pas à partager quelques informations les concernant toutes les deux.

« Je m’appelle Kougyoku REN et pour votre information, je ne me souviens pas vous avoir déjà rencontré, répondit-elle calmement. »

Elle mentait un petit peu, mais c’était un mal nécessaire. Et puis, elle omettait aussi quelques informations, même si ces dernières étaient évidentes. Elle n’avait pas présenté son titre de princesse mais son nom devait suffire à éclairer la lanterne de Jasmine, ou alors cette dernière avait un léger problème.

Le vent souffla dans le dos de Kougyoku, soulevant avec délicatesse ses cheveux ainsi que de nombreux pétales. La princesse remit avec agilité quelques mèches derrière son oreille et en profita pour enlever les morceaux de fleurs qui s’étaient perdus sur ses vêtements. Il fallait qu’elle s’occupe sinon sa timidité finirait par reprendre le dessus et adieu source d’informations.

Lorsqu’elle fut sûre qu’il n’y avait plus le moindre grain de poussières sur elle, la demoiselle reporta son regard sur Jasmine. Un regard sombre certes mais d’où une pointe de malice et de curiosité y brillait.

« Ce que je souhaiterais savoir, c’est ce que vous faites au sein de ce palais ? demanda-t-elle. »

Autant aller droit au but au risque que Jasmine ne commence à bavarder sur un autre sujet. Kougyoku manquait de tact, elle le savait déjà, mais la réponse répondrait sûrement à ses questions muettes.

A son tour, la jeune femme tendit sa main dans le but d’attraper celle de son interlocutrice. Habituellement, elle n’était pas très fervente des premiers contacts mais si elle souhaitait obtenir ce qu’elle désirait, il fallait faire plier ses mauvaises habitudes et accepter de s’ouvrir un peu au monde qui l’entourait.

Elle lui fit tout de même un fin sourire afin de la mettre en confiance. Kougyoku n’était certes pas très sociable mais elle savait tout de même faire preuve d’un peu d’humanité, elle n’avait pas un cœur de pierre loin de là. La jeune femme s’en voulait même régulièrement d’être ce qu’elle était, sauf que ce caractère était ancré en elle et les mauvaises habitudes ont souvent la vie dure lorsqu’il faut s’en défaire.

Elle se retrouvait souvent bloquée dans ses relations en agissant comme elle le faisait. Toujours froide, hautaine et souvent sans scrupule avec les étrangers et même les membres de son entourage, elle continuait elle-même à agrandir sa solitude. Alors Kougyoku attendait, elle attendait le jour où elle arriverait à s’exprimer correctement, à se remonter contre les bonnes personnes, à créer des liens avec n’importe qui mais pour le moment, elle devait d’abord affronter cette situation. Un petit pas pour les autres mais un grand pas pour sa personne.

Intérieurement, elle n’en pouvait plus. Ses sentiments partaient dans tous les sens et elle avait beau essayer de les maintenir en place, de les trier, d’en faire ressortir uniquement le meilleur, cela ressemblait surtout à un capharnaüm sans nom. Tel un animal sauvage, ses émotions mordaient, crachaient, grognaient mais ne se laisser pas attendre par leur propriétaire. Elle espérait juste que Jasmine ne puisse pas comprendre ses tourments en la regardant dans les yeux. C’était une autre mauvaise habitude, lorsqu’elle était plongée dans un tourbillon de sentiments comme maintenant, il était si simple de la comprendre. Un peu comme on ouvrirait un livre pour en connaitre le contenu, son regard était un peu les pages où l’on y inscrivait l’encre noir, formant des mots et détaillant tout ce que l’on souhaitait. C’était un énorme défaut du point de vue de la princesse que de ne pas savoir garder une neutralité absolue, ou du moins que personne ne puisse vraiment comprendre ce qu’elle pensait.