Passé recomposé [Sekiryou]

Une journée bercée par l’insouciance des premières années semblait se profiler à l’horizon. Une caresse douce heureuse me sortit doucement de ma torpeur enivrante. Celle des rayons du soleil perçants à travers l’ombre de la rue dans laquelle je m’étais assoupi. Je ne pensais pas passer ma nuit ici, pourtant mon sommeil avait sûrement eut raison de moi.  Mes jambes avaient déjà peiné toute la journée précédente à soulever mon corps las, dans l’espoir d’apercevoir une mèche rosée parmi ces gens ordinaires.  Espoir, ce mot représente une bien grande partie de ma maigre vie éprise de solitude. Solitude, ce mot est la signification même de mon nom. De ma vie. Pourtant, ce n’est pas comme si j’allais me plaindre. Regardez-moi aujourd’hui. Jeune enfant à la chevelure ébène scintillante de reflets rosés, souriant aux passants et arpentant les rues de la ville la plus prisée de cette ère, en quête d’une inconnue partageant mes caractères physiques. Non, ne vous méprenez pas, je suis trop jeune pour songer à l’âme sœur et à vrai dire, je juge cela comme une perte de temps. Mais ne faut-il pas perdre du temps pour en gagner ?

Aujourd’hui je perds mon temps à rechercher désespérément une femme. J’ignore son identité, ainsi que son caractère ou autres attraits humains. Je me base alors sur un trait physique que je n’ai jamais vu sur quiconque autre que moi, des reflets rosés dans la chevelure satinée. Comme j’ignore absolument tout de cette femme, je ne peux que supposer que dans l’hérédité j’ai bénéficié de cette chevelure, puisque mon père n’était qu’ébène. Vous aurez déduit que je recherche ma mère. Finalement, ma cause est perdue depuis belle lurette. Ce pays est vaste et mes critères de recherches minimes. Mais sans l’espoir de retrouver cette femme, ma vie n’aurait de sens. Je l’ai promis. Je dois la retrouver. Dès à présent, c’est pour mon ami que je continue mon chemin et non pour moi. En effet, si ça ne tenait qu’à mon propre chef, je serai certainement parti là où ma curiosité infantile m’aurait guidé. Pourtant, depuis la perte de mon ami, de mon moteur, je ne cesse de me répéter que celui-ci aurait souhaité me voir sourire aux passants. Ma force de vivre, je la tiens de lui. Je lui dois mon optimisme et ma force. Un sourire amer vint se dessiner sur mon visage avant que je ne reprenne ma marche, pour une journée de plus.  Une journée de plus à espérer et garder son acuité optimale pour tenter de mettre la main sur ce fruit tant convoité. Un fruit ? Le fruit de ma vie.

Quelque chose me dit que la femme que je convoite ne peut-être au-delà de cette frontière. Pourquoi chercher la complication quand depuis son enfance on recherche la quiétude et qu’enfin, on la trouvé ? Oui, il fallait avouer qu’ici, à Sindoria, on retrouve une quiétude presque inexistante à Balbadd ; mon pays natal. Je suppose que cette femme, toi, tu devais bien avoir vécu la même misérable enfance que moi ? Evidement, tu as dû connaître l’immondice qui règne dans les rues malfamées de ce pays. Tu as certainement sentie l’odeur répugnante des ivrognes avides de plaisir malsain. Tu as goûté à l’outrageuse inégalité de ce pays. Pas vrai ? Et bien pourtant je ne te plaindrais pas. Tu ne me connais pas, je te ne connais pas. Je ne t’aime pas. Je te hais. Tu ignores mon existence comme j’ignore ton identité, cependant, je ne te laisserai pas faire de ma vie un enfer car tu as souhaité me laisser seul pour garder le bénéfice. Non, jamais tu ne feras de ma vie un abysse entre mon passé et mon futur. Pourtant, n’est-ce pas déjà fait ? Je me murmure que j’ai un prénom, un passé, une vie, un corps. Mais, mon identité à moi, quand est-elle ? Donnes moi une identité maman, s’il te plaît… ô jamais te ne pourras imaginer quelle est l’horreur de se réveiller sans pouvoir même prononcer son nom lorsque l’on n’en possède point.

Mais alors que mes songes semblaient presque te prendre en pitié, une vision aussi inattendue que désespérée enflamme mon regard rosé. Est-ce bien une femme aux cheveux de nacres que j’entrevois plus loin ? Ô tu parais si joyeuse, la quiétude de ce pays t’a apparemment fait oublier la présence de ton enfant dans ta vie ? Je te méprise tellement. A cet instant mes songes précédents s’envolèrent en éclat. Je désirai juste te faire souffrir. Quelle preuve d’égoïsme as-tu fait le jour où tu m’as laissé pour mort dans la rue. Je ne sais pas comment j’en suis arrivé là. Je sais une chose, je suis vivant et tant que mon cœur ne cessera de battre, je te ferai souffrir pour que tu me haïsses autant que je veux te voir pleurer. Tu n’as pas idée des souffrances que j’ai enduré pour pouvoir t’apercevoir. Mais ne nous affolons pas. Je ne suis pas certain que tu es bien mon fruit. Je m’approche alors furtivement de toi, le regard fuyard et ma démarche de velours. Rien de plus indiscret certes mais je ne sais pas comment me comporter face à toi. C’est alors que je suis capable d’atteindre mon but que mon ventre se serre douloureusement. Je suis aussi démuni qu’un guerrier sans armes. Tu es une sorcière, mère.